2013/12/11

L'ennui et le voyage

Je t'écris une lettre.

Midi cinquante dans la gare.
Des gens se meuvent avec la ferme intention d'attendre.
Une détermination sans borne. Ils fixent des portes qui s'ouvrent et se ferment. Les mouvements de l'attente leur picotent les membres.
La tête lourde qui vacille légérement appuyée sur la paume de leurs mains inconfortablement pliées en 90. Les jambes croisées, impatientes, qui se décroisent et se recroisent, comme un galop absolument merveilleux. Les yeux décrivant une hyperbole majestueuse. L'horloge, le sol, les portes, le sol, l'horloge, le sol.

Le sol brun. Résolument brun.
Petites traces de slush qui décrotte les bottes. Peut-être cette motte de gravel vient-elle de Rivière-du-Loup. Ils ne savent pas. Ils attendent et voyagent déjà. Ils voient les visages de ceux qu'ils vont rejoindre. Ils voient leurs frigidaires avec des aimants de Pauzé Plomberie inc.
Tu vois quoi, toi, quand tu t'en va en quelque part?

***

Treize heure trois.
Entrée en République de la Pointe-du-Lac.
Les Laquais pointés sont au travail. Leurs maisons patientent, imperturbables. J'eus un jour le plaisir de rencontrer un Laquais pointé, personne de forte consistance. Il me parlait des roches sur la grève. Un petit enfant s'était tué ici. Leur coutume veut que l'on convertisse tout endroit où un enfant meurt en parking pour manger sa crème glacée. Je passe en ce moment l'endroit terrible. J'ai une pensée pour cet enfant. Mais mon coeur voyage déjà au-delà de la Pointe-du-Lac, je quitte bientôt pour des terres inconnues.

Il paraît que nous serons à Yamachiche sous peu. Le nom me fait peur. Je t'écrirai pour t'en parler.

***

J'arrive en Yamachie-Orientale.
Je vois une grande maison au toit rouge. C'est peut-être le parlement.
Je rencontre Nina Uméron, sur le banc à ma droite. Elle est scriptrice. Sa bouche sent la tartine. Elle m'explique : " Il est une absurdité du langage qui veut qu'il soit à tout prix exprimé dans le but seul d'être entendu, ou lu. Il m'a toujours semblé étrange qu'il faille absolument projeter ce langage vers quelqu'un qui puisse le recevoir..."
Je ne peux comprendre ce qu'elle dit ensuite. Nina Uméron s'est mis une tartine sur la bouche. J'entends des sons que je ne comprends pas. Elle continue de parler. Je continue de faire comme si j'écoutais. Si je n'écoutais plus, je devrais regarder les Yaméchanchois qui marchent agressivement sur le trottoir. Je ne me sens pas cette force. Je préfère regarder la tartine bouger subrepticement sur la bouche de Nina Uméron. Mes aisselles pleurent d'anxiété. Vivement que nous soyons hors de ce pays de marcheurs intimidants.

***

Le protectorat de Louiseville m'accueille, les gens festoient dans l'autobus qui vrombit joyeusement sur la terre battue. Apparemment, il s'agit du jour national des Louisiens. Nina Uméron dort sous une pile de tartine. Le chauffeur chante l'Internationale Capitaliste. Les passagers de derrière se perdent en accolades osées, se caressent les joues et les mollets, quelquefois un bas ou un pull sont projetés dans les airs. Cela sent le poisson et les gauffres au jambon. Tous les enfants sont cachés dans les soutes placées au-dessus des bancs. Un itinérant, qui habite le véhicule depuis plusieurs mois parait-il, cogne sur les soutes. Un enfant surgit et clame haut et fort une décimale de Pi. Je me sens, moi aussi, Louisien. Dehors, je vois une grande construction avec une tour où sonne une cloche. Il s'agit sans doute du parlement. Deux hommes nus sont couchés l'un par-dessus l'autre devant l'édifice. Ils bougent rapidement. Ce sont peut-être des députés. Je dois cesser de t'écrire pour maintenant, la masse de passagers en perpétuelle accolade me réclame.

***

À peine arrivés dans la Cité-État de Berthier, l'homme du banc de devant se retourne et me dit : "Je n'ai pas envie de vivre." La grise murale de Berthelons, campés sur le bord de la rue, font une funèbre haie d'honneur à l'autobus. Je cale plus loin mon regard dans la fenêtre.

"Je n'ai pas envie de mourir. Cela est trop funèbre. Je n'ai pas envie de vivre, c'est tout. Des fois l'impulsion m'a prise, et par deux fois j'y étais. Je n'ai pas envie de vivre. On dirait que c'est un crime."

Les Berthelons m'accusent. Leurs têtes suivent ma fenêtre, j'en suis sûr. Le ciel est atrocement bleu et vide.

"Je vis par commodité, parce que c'est plus simple, surtout pour les autres. Je n'arrive pas à aimer quelqu'un. Tout cela m'élude. Tout cela vient vite faux. Et cela m'épuise. J'ai bien des amis, mais je rêve d'être seul. Je rêve d'être seul, oui, ce serait plus facile."

Je dois faire semblant d'aller aux toilettes. Je ne sais pas si il y a un parlement à Berthier. Je n'ai rien à te dire. Je t'écrirai plus tard.

***

Il s'agit de la dernière trace écrite du docteur Fritz avant sa disparition. Ces lettres, apparemment sans destinataire, ont été retrouvées dans la carcasse d'un autocar à combustion soupapée de calibre 35, quelque part sur la frontière entre la Fédération de Lanoraie et la Cité-État de Berthier. Il est difficile de déchiffrer ce qui semble être ni plus ni moins que la plus grande énigme du docteur Fritz. Goldshläh Barbottier, professeure au département de lecture de tableau de l'Université de la Métropole, produit en ce moment une thèse sur l'emploi des pronoms masculins dans cette mystérieuse correspondance. Elle entend ainsi percer le mystère qui a conduit à la disparition du docteur Fritz. 

2013/06/21

L'ennui et les participes passés

Nouveau rebondissement dans l'affaire Fritz.

Le Comité central des Scouts de la Périmétropole a révélé, hier soir, que le curieux journal retrouvé la semaine dernière pourrait, selon toute logique, appartenir au docteur Monzégo Fritz, scientifique soupçonneux et éternel disparu. En effet, le journal appartiendrait selon eux à un homme puisque le texte présente des participes passés employés avec l'auxiliaire "être" qui se terminent soit en "é", en "t", en "u", en "i" ou en "s". Cette conclusion a semé les graines de la honte chez les chroniqueurs d'enquête des journaux de la Métropole qui tentaient, depuis quelques jours déjà, de percer le mystère du journal mystérieux sans mystérieusement y arriver. "C'est un mystère total", avouait Simone Pratte, qui se passe de présentations. Mais les bourgeons du dépit qui sciaient les entrailles des chroniqueurs ont éclaté en fleurs sanglantes lorsque le Comité central des Scouts a fait preuve d'humilité en ce qui concerne son coup de génie. En effet, dans sa circulaire hebdomadaire destinée aux membres, on peut lire : "Ce n'est pas nous qu'il faut remercier, mais bien les règles d'accord des participes passés. Les participes passés sont des adjectifs, et ils sauvent des vies! Nous le disons déjà depuis plusieurs années, et nous sommes pourtant constamment taxés d'hérésie. Combien de nos membres devront être brûlés au bûcher avant que l'on reconnaisse cette divine Vérité? La véritable hérésie, si vous voulez mon avis, c'est le manque de tolérance à l'égard de celle-ci." Les chroniqueurs, humiliés, ont vilipendé le CSP en les qualifiant de "Sauvages", insulte qui a provoqué une levée de bouclier chez des passants qui se sentaient absolument concernés. Ensuite, ce fut au tour d'un vendeur de cages pour enfants de cracher son fiel, voyant la réaction des passants susmentionnés : "Je n'en peux plus de ces gens qui, parce qu'ils marchent sur le trottoir, croient qu'ils peuvent avoir une opinion sur tout. Quand tu marches, tu marches, tu ne penses pas." Cette dernière affirmation exaspère vivement un morceau d'asphalte qui préfère garder l'anonymat.

Le mystérieux journal qui appartiendrait au docteur Fritz puisqu'il présente une variété de participes passés masculins aurait été retrouvé dans un ancien champ de patates (solanum tuberosum) transformé depuis la Révolution en bidet collectif. Jacynthe Juillet, directrice de la chaîne "Bidet Jaune" qui administre ledit lieu, commente : "L'idée nous est venue d'utiliser l'eau de pluie et un système complexe de pompes afin de donner une deuxième vie à ce champ désaffecté. Les gens des secteurs environnants ont trouvé l'idée bonne et font parfois jusqu'à une-demi journée de marche à pied pour venir se laver le cul ici." Le succès de l'entreprise dépend, nous dit l'ouvrier Justin Jasmin sous la confidence, beaucoup plus des pressions exercées par "Bidet Jaune" sur le gouvernement périmétropolitain afin de resserrer les règles en matière d'hygiène que d'un désir réel de se passer un jet d'eau sur la raie.

Nous avons demandé à Yvonne Uber-Cul, une experte des travaux fritzien, de nous dire en quoi la théorie peut éclairer la pratique : "Je crois qu'il ne faut pas trop vite condamner la célérité dont on fait preuve les législateurs dans cette histoire. Monzégo Fritz aim[ait] d'ailleurs beaucoup les politiciens, ils étaient d'ailleurs une partie intégralement existante de sa théorie du tout, d'ailleurs."

2013/06/12

L'ennui et la démocratie - I

Il s'était passé plusieurs mois depuis la disparition du Docteur Fritz. (Non pas que la chose avait attiré beaucoup d'attention - on en avait parlé quelque peu, il est vrai, dans les urinoirs des usines, en confidence, entre deux regards jaloux, des regards d'entre-jambes, vous comprenez, ces moments de complicité masculine, où l'homme reconnaît l'homme comme son frère, telle est la devise des lieux d'aisances virils : hominem frater meus est, quia scio meus frater est.)

Il s'était donc passé plusieurs mois depuis la disparition du Docteur Fritz, Monzégo aimait-il se faire appeler, c'était après tout son prénom (et ce l'est encore, dépendant des écoles de pensée). Or on peine à trouver quelque indice que ce soit en ce qui concerne son existence géographique - pour une raison qui échappe à l'entendement, chaque enquête se termine en un exposé doctoral sur des sujets comme le sucre, ou encore les cubes de sucre. On est donc en droit de se demander où tout cela nous mène, et c'est d'ailleurs notre droit fondamental, le "Droit inflexible #12", si l'on se réfère à la liste qu'a faite Arlette Cousture dans sa Nouvelle République pour enfants, adultes et autres attardés. L'auteure énonce ainsi l'importance du droit en question : "Tout être qualifié par la vie de manière substantielle et humaine a droit, dans la mesure ou la République l'infuse de son parfum démocratique, à une connaissance plus ou moins consistante de l'endroit où il est dirigé". Ce droit en question avait d'ailleurs enflammé les cercles intellectuels de la Métropole, qui décidèrent alors de s'en inspirer pour forger une nouvelle constitution, mais ils furent malheureusement exécutés devant public lorsqu'on découvrit que leur entreprise servait d'abord leur envie malsaine de passer la nuit à faire des amendements à toutes sortes de propositions bestiales.

Et le docteur Fritz, dans tout ça?

"Je crois qu'il aurait été d'accord.", affirme vivement Fernand Poitras, concierge de l'immeuble C53.

2013/02/15

L'ennui et l'éternité


Le docteur Monzégo Fritz, du bureau de recherches sur les substrats, est aperçu pour la dernière fois sur un banc de parc alors qu'il se délecte d'un cube de sucre assez volumineux. Selon les témoins, le cube en question fait au moins 11 cm³, ce qui surprend grandement Laura Raptopoulamos, une vieille amie du docteur Fritz. " Si les témoins disent vrai, la grosseur de ce cube est pour le moins surprenante", dit-elle aux policiers qui l'interroge alors qu'elle sort d'un marché où elle achète plusieurs conserves de maïs en crème.

Fyodor Paquin, assistant-directeur à la Raffinerie de Sucre de la Métropole (RSM), commente lui aussi la disparition du docteur Fritz, qu'il considère comme un frère, ce type de frère que l'on ne connaît pas, mais à qui on se sent lié par la fraternité humaine en général : " Ce cube de sucre est effectivement un gros cube de sucre ".

Le mystère demeure quant à l'emplacement actuel du docteur Fritz dans le présent de la vie et des choses.

La communauté scientifique de la Métropole, en émoi, mobilise vingt-deux télescopes afin de participer à l'effort de recherche. Le professeur Gaëtan Garland, expert en nutrition et, selon sa propre expression, père spirituel du docteur Frtiz, affirme qu'il faut chercher dans les travaux de ce dernier des indices pouvant permettre de résoudre l'énigme. Or la communauté scientifique, comme un bloc d'ivoire indivisible, préfère mobiliser trente-trois télescopes supplémentaires, dilapidant ainsi tous ses fonds de recherche.

Hué par une cohorte de mannequins sans domicile fixe alors qu'il donne une conférence publique sur l'importance de toujours lécher son assiette, l'idée vient au professeur Garland d'aller à l'encontre des recommandations de ses collègues et de jeter un oeil aux travaux du docteur Fritz.

Il trouve ceux-ci dans le bureau du disparu. Il les trouve fort poussiéreux et mal classés. Il trouve aussi un passage très éclairant sur la situation qui l'intéresse. Comme il n'a à sa disposition que ce qu'il croit être un nombre inquiétant de pastels gras, le professeur Garland retranscrit en charades le passage en question sur un mur couleur crème.

Voici la traduction que fait Nina Uméron, une traductrice vivant dans les débris d'un cottage au bord d'un lac asséché, des charades du professeur Garland :
"Le sucre détient des propriétés. Une de ces propriétés est l'existence. Or, où commence l'existence du sucre? Où se termine-t-elle? Si le sucre existe, il existe avant, autrement que du sucre. Comme nous ne pouvons soutenir la création ex nihilo du sucre, force est de nous rabattre sur sa permanence en tant que concept et en tant qu'objet. Le sucre, au début de tout, si il n'est pas du sucre, est quelque chose. Et avant cela, ce quelque chose là est quelque chose d'autre. Et si ce quelque chose est, c'est que quelque chose est toujours. Rien - ou tout - ne commence, et donc rien - ou tout - ne se termine. Et nous, si nous terminons, ce que nous sommes après ne se termine pas. Ce qu'est le sucre est donc éternel, pour la simple raison que ce qu'est le sucre existe."
Malheureusement, Nina Uméron ne termine pas la traduction et préfère manger plusieurs tartines. Il reste donc une charade à traduire, connue à travers le monde comme la fameuse "dernière Charade". Voici la transcription qu'en fait Nina Uméron, scripte professionnelle et amatrice de tartines :

"Mon premier est la mesure d'une surface
Mon deuxième est la 3ème voyelle de l'alphabet
Mon troisième est le bruit du serpent
Mon quatrième est le contraire de "tard"
Les anglais boivent mon cinquième à 17h.
Mon sixième n'est plus vivant"
Au grand dam de la communauté scientifique, les cinquante-cinq télescopes ne parviennent pas à résoudre la charade. Le professeur Garland, lui, est inconsolable, et sombre dans la sodomie assistée par ordinateur. Tout cela commence avec la disparition du docteur Fritz.  


Le docteur Monzégo Fritz, du bureau de recherches sur les substrats, est aperçu pour la dernière fois sur un banc de parc alors qu'il se délecte d'un cube de sucre assez volumineux. Selon les témoins, le cube en question fait au moins 11 cm³, ce qui surprend grandement Laura Raptopoulamos, une vieille amie du docteur Fritz. " Si les témoins disent vrai, la grosseur de ce cube est pour le moins surprenante", dit-elle aux policiers qui l'interroge alors qu'elle sort d'un marché où elle achète plusieurs conserves de maïs en crème.

Et cetera

2013/02/07

L'ennui et la maternelle

Cette semaine, l'Institut économique d'une pseudo-Métropole entreprend d'investiguer l'économie narrative de la mémoire sociale chez les clients du niveau maternelle.

L'I.E.M. est déjà connu pour nombre de ses travaux sur l'économie narrative, notamment ceux portant sur le récit de fin de vie des adhérents de l'Union des sosies d'Arlette Cousture, dont nous parlerons dans cet avenir qui appartient aux gens qui se lèvent à des heures raisonnables. L'étude qui nous intéresse a été réalisée dans les normes d'une méthodologie qui n'a pas pris le soin de se divulguer elle-même, étant donné sa propriété d'être-concept.

Les élèves de la classe de maternelle 002 de Madame Linda livrent des témoignages poignants sur leur condition d'apprenant dans une société qui se veut de plus en plus sociale. La faute est à des gouvernements qui nous concernent, selon une secrétaire de l'Institut qui était en vacances lors des entrevues faites à l'École du Rapt de Salomée.

Nous utilisons des noms fictifs pour protéger l'identité de ces jeunes consommateurs de l'économie du savoir.

À la question "Quel part du récit de vos souvenirs accordez-vous à la description d'objets foncés", la petite Rubéole exprime ses inquiétudes :

"Quand est-ce qu'on zoue le zeu que m'avait promis?"

Une stagiaire avec des cheveux commente les résultats de l'échange : "C'est une énonciation franche, à bride abattue, nous vivons un grand moment de communication."

Ému, le directeur de l'Institut a pleuré plusieurs fois pendant la récréation.

L'ennui et les palourdes

Dans les jours qui suivront, à quelques années près, la peu probable rédaction d'une missive enflammée dans un Journal dont nous tairons le nom, Arlette Cousture publiera une plaquette aux édtions ACV.

L'ouvrage, pour l'instant intitulé Palourdes et jugement critique : pistes pour l'élaboration d'une critique de la Kritik der Urteilskraft, abordera les grandes questions de la philosophie des Lumières sous l'angle de l'expérience des fruits de mers en tant qu'objets extérieurs à la raison humaine.

L'oeuvre fragmentaire sera divisée en plusieurs fragments, eux-même fragmentés suivant la formule mathématique de la fragmentation du spectre lumineux. Ce faisant, l'auteure revendique son appartenance à la postmodernité. Dans une entrevue imaginaire donnée au Journal, elle défend ainsi ce qu'elle appelle "une poétique qui met l'accent sur le message" : "Je revendique mon appartenance à la postmodernité." Aux critiques véhémentes que lui ont adressées des détracteurs anonymes, elle répond : " Ces gens sont couverts de boue. On parle, dans plusieurs livres que je lirai peut-être, de la postmodernité, tant et si bien que cela se peut seulement que ça existe dans les choses qui sont reconnues exister". 

Lorsque le journaliste, dont nous tairons le nom puisque nous ne le connaissons pas, lui demande de citer les fonctions du langage de Jakobson, Cousture rétorque : "Si je vous disais que Jacques avait en sa possessivité six brebis, vous me croiriez. Mais si je vous dis, de manière consistante, qu'il en avait non pas six, mais plutôt sept, l'histoire serait autre que celle qu'elle est." Lorsqu'on lui demande quelle est la septième fonction du langage, Cousture renvoie à la célèbre analogie de Crayfish-Heidegger en agitant de manière circulaire une pelle en hypertexte.

Voici maintenant un extrait du livre en état de décomposition :

Palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes palourdes.

Pour commander de manière éventuelle cet ouvrage révolutionnaire (au sens de Révolution française), veuillez composer plusieurs numéros.

2013/02/06

L'ennui et les choses que l'on n'écrit pas

Dans la vie, j'aimerais écrire des choses.
Ce n'est pas tant pour les dire, je crois. La communication me semble une réponse trop facile. À savoir, l'écriture pourrait avoir un rapport avec les micro-ondes.

Et toi, tu écris pourquoi, au juste?

Je pourrais aller de l'avant avec une esthétique de l'ennui. Cela constituera, à certains égards, un projet. Cela ne constituerait pas, par exemple, des chats. (J'entends "chats" au sens d'une répétition d'un procédé relevant plus ou moins de l'absurde. Dans cette séquence, "chats", substantif inusité dans l'énonciation, fait suite à "micro-ondes", lui aussi tout à fait inusité. L'absence de sens de cet ensemble, c'est-à-dire "chats" et "micro-ondes", paraît complètement absurde. Or, quand on sait que l'auteur de ces lignes a déjà mis un chat dans un micro-ondes, l'absurde fait sens. On n'échappe pas au sens, du moins pour l'instant. Il est temps de clore cette longue parenthèse avec un signe typographique qui indique que l'on clôt la parenthèse : ).

L'AUTEUR EST MORT.
TROM TSE RUETUA'L.

J'aimerais donc écrire des choses, et il convient de parler, dans la vie, des choses que l'on n'écrit pas.

Je n'écris pas un recueil de poésie.

Dans ce recueil de cent poèmes qui s'intitule Cent (où l'on trouve en fait cent-un poèmes, pour déstabiliser la vie des gens),

chaque poème est la représentation d'une même scène. Un homme se jette du haut d'une grande structure en acier. Les cent poèmes se succèdent sans vraiment faire référence, de manière explicite, à un homme qui se jette du haut d'une quelconque construction humaine faite d'un matériau qui a quelque chose à voir avec quelque alliage de métaux que ce soit. Ce n'est qu'en lisant le poème 101 que le lecteur comprend que les cent premiers poèmes font référence à une seule et même scène. Or, plusieurs lecteurs auront déjà compris la chose. Ils se sentiront experts en matière de détection de récurrence. Je pourrai ainsi flatter leur égo et, en même temps, m'en foutre cavalièrement. Ce recueil contiendra des vers merveilleux tels que ceux-ci :


Cet air, comme un œdème sur le vent
Qui perlait à travers les feux des violons
Des cris et des glas
De ce jour si long
De toi, perdu dans les soies noires
De la Machine

Le lecteur aura aussi le loisir de découvrir, à travers ces textes foncièrement ennuyants, la superbe "Machine espagnole" actionnée par "les trois vieilles anglaises". Ce n'est qu'en lisant un premier roman que je n'écrirai pas, Du feu et des cendres, qu'ils pourront comprendre ce qu'est vraiment cette machine, et pourquoi trois vieilles anglaises s'en servent afin de pouvoir faire quelque chose comme cuire des chats au micro-ondes. Nous parlerons un jour de ce roman qui n'existe pas. Le roman en question décrira en partie l'univers de Le cours naturel des choses, une trilogie fantastique écrite par aucune personne qui puisse être qualifiée "d'existante" d'un point de vue existentiel. Nous parlerons aussi de cette trilogie dans un avenir incertain.

Nous utilisons le ''nous'' royal, et non scientifique.

Esthétique de l'ennui - I

"L'ennui est pluricellulaire, au sens de sa vérité épistémologique." est un énoncé ennuyant.


L'ennui, comme entité structurante du discours, n'est pas exploré à l'envi par Barthes dans ses Mythologies.
Par contre, il est théorisé dans l'oeuvre in vivo qui se déroule dans le maintenant de la temporalité, Ma maîtrise sur Wikipédia, dans le chapitre "Des manières de dire de la marde en faisant croire que vous voulez faire croire que vous êtes une personne intelligente alors que vous voulez explicitement faire croire que vous voulez faire croire à votre intelligence". On y discute le procès rhétorique de l'ennui, dans des situations comme

- Tuer le plaisir des enfants.
- Rudoyer de malaise ses collègues.
- Autre chose aussi.

L'ennui n'est pas un chemin qui conduit à quelque rate que ce soit, serait-ce celle de Baudelaire lui-même. Penser l'ennui en tant que phénomène ayant une fin serait bien mal avisé, et surtout complètement contraire au sens que lui a prêté Todorov dans ce Livre que Todorov n'a jamais écrit paru aux éditions ACV (Arlette Cousture Vaginite). L'ennui, comme mode de rapport à une pratique physique, n'a de but que l'ennui lui-même. Si "je veux chasser l'ennui" en "me masturbant" ou en "jouant à un jeu vidéo", ce n'est pas l'ennui qui, d'un coup, se transforme en motivation. La motivation existe déjà dans la volonté de chasser l'ennui. Voici d'ailleurs un graphique qui exprime bien la circularité de l'ennui. Avancer que l'ennui est une puissance créatrice est insoutenable sur le plan logique en plus de désavouer le déjà célèbre graphique de l'ennui.

Prenons un énoncé ennuyant, tiré du court récit "L'ennui et le printemps", publié en 2011 sur ce blogue. 
Puis, je me tourne vers un de mes interlocuteurs, un geste ou une intonation capte mon attention. Il prend les traits d'un désir flou, une forme qui se calque dans l'air, le temps ralentit un peu, les sons se taisent sans que je m'en rende compte. 
On pourra se demander ce que cet énoncé pourrait avoir d'ennuyant. Après tout, il fait avancer la diégèse en plus de fournir une description de l'état psychologique du personnage. Or ce n'est pas là qu'il faut chercher les marques de l'ennui. En effet, l'ennui dépend absolument d'un contexte dans lequel il pourra s'inscrire et se diffuser. Il entretient avec le contexte une relation symbiotique : il est inadapté, mais n'en est pas moins incongru. L'ennui est entre autres ce qui sonne faux, mais d'une manière qui paraît avant tout imperceptible. On le constate d'abord dans des choix de mots douteux. Sa manifestation première est le malaise, comme un manque de clarté qui rend un discours presque incompréhensible, sans toutefois que l'impression première qui est ressentie soit cette incompréhensibilité. Il infeste l'axe syntagmatique et paradigmatique, et s'inscrit dans l'abus de typographies inconvenantes, comme l'italique. Il peine à se dévoiler subitement. 

L'ennui se manifeste aussi dans l’anacoluthe ; j'entends ici la trope, sous une forme directe ou filée. Étendue sur la durée, par exemple, d'un paragraphe, une anacoluthe filée a pour effet sur le lecteur de créer des questionnements comme "Quand en viendra-t-on à l'énoncé préalablement cité?". L'esthétique de l'ennui concerne donc tant la poétique du texte que sa réception. Enfin, l'ennui fait constamment référence à lui-même. Nous en discuterons une prochaine fois, c'est-à-dire sûrement jamais. 


Odium odium invocat

Je copie des proverbes latins.
Ça m'amuse.

J'écris mal, la plupart du temps. Parfois, je regarde les choses que j'écris - je les trouve laides. Physiquement laides. Je les sens laides. Je fais l'expérience physique de la laideur. Je me répète plusieurs fois. Ça ne me dérange pas vraiment. Ce sont des choses qui arrivent, mal écrire.

Les phrases toutes faites, ce sont des souliers laids et inconfortables. Je me demande si cette phrase est de moi. J'écris surtout des phrases qui sont déjà faites. J'aimerais mieux écrire des phrases qui ne sont pas faites. En fait, j'aimerais mieux qu'elles soient faites à moitié. J'écris quand les gens écrivent, généralement. "Écrire, j'ai envie de faire ça". Je me dis ça. C'est comme une sorte de camaraderie à sens unique. C'est un peu comme un malaise dans le sens contraire.

J'aime bien mal m'exprimer, et j'aime le faire avec concision. Je pense que c'est un talent que j'ai réussi à développer. Comme un drame d'horreur kitsch. Je trouve que l'italique est un gage d'intelligence. Je n'aime pas tant Kundera, pourtant. J'aime les blancs. J'aimerais un jour écrire le vide sémantique. Lorsqu'on m'a dit que ça n'existait pas, j'ai trouvé que c'était paradoxal. J'étais surtout fâché. "Tout signifie" est une phrase paradoxale, si on considère que "signifier" est transitif. Mais pas dans ce cas-là. Je pourrais passer ma vie à rendre le verbe "signifier" uniquement et irrévocablement transitif. Ce serait une occupation qui me conviendrait. Je n'ai pas besoin de savoir comment le faire. Je voudrais seulement le faire.

L'ennui est étymologiquement une sécrétion de la haine. Je suis vraiment heureux de le savoir. Écrire le malaise. L'ennui, c'est malaisant. Pas des grands malaises qu'on voit en spectacle, en se disant : "On va voir un malaise, fais garder les petits". Après on discute du malaise. "J'étais mal à l'aise". Puis on rit. On a vécu de la profondeur esthétique. On a institutionnalisé le malaise. Je pensais à ça aujourd'hui. Non, sans déconner. J'y pense même en ce moment. C'est vrai. Ça a déjà été pensé. C'est un lieu commun.