Il est des lieux de l'univers qui possèdent une signification absolument merveilleuse en ce qu'ils sont à la fois l'endroit de production d'événements historiques bouleversants et capitaux en même temps qu'ils sont ignorés de tous les êtres doués de l'intelligence nécessaire à les reconnaître.
En effet, personne ne peut se prétendre investi de la science nécessaire à indiquer au reste du monde la position exacte ni du Big Bang ni de l'endroit où une des figures-clés de la culture de l'ancien monde nommée Michèle Richard a pris la décision de devenir chanteuse pornographique.
Il peut toutefois être légitime de poser la question de l'existence même de ces lieux, si l'on considère la capacité qu'a la réalité à n'être au fond qu'un vieux tas de salade immonde et faux, ou encore la possibilité des choses à se passer en dehors de toute réalité intelligible, comme ce fut le cas du peuple occidental pour la majorité des événements ayant pour cadre un pays où les installations sanitaires étaient inadéquates et où les fusils généralement tuaient un nombre impressionnant d'enfants à la peau plus ou moins foncée.
La ruelle où disparaît Monzégo Fritz est l'un de ses endroits.
L'ennui et le concept
Découvre avec moi l'écriture malaisante, mais pas trop. Pataugeons ensemble dans les limites du banal.
2015/08/16
2015/02/09
L'ennui et les chansons tristes
- INTÉRIEUR NUIT NOIRE ET BOULEVERSANTE -
Un homme au veston de tweed brun ciel de ville troué par les mygales de garde-robe.
Une femme aux cheveux tsunami plastifiés dans une vague catastrophique par du plexiglas en aérosol.
Tous deux assis sur des fauteuils poussiéreux, meubles affables lâchant au moindre mouvement des relents de vodka accusateurs.
L'homme tourne son corps grinçant vers une caméra. Une mygale de garde-robe lui chatouille le vestibule du plaisir.
"Je suis en compagnie d'Arlette Cousture, championne régionale du lancer du cube de sucre, régente internationale du Festival de la moue bourgeoise de Trifluvie occidentale, auteure de moult pamphlets, registres et autres piailleries linguistiques sur Monzégo Fritz, madame Cousture bonsoir."
"Bonsoir, Régistolc Dugars, vice-président du club des visiteurs de stations d'échange de fluides du District 5 de la Métropole, grand propulsant d'idioties interdites aux mineurs et animateur des Rencontres sur sofas alcoolisés auxquelles on m'a invitée, mais une seule fois, c'est-à-dire maintenant."
"Madame Cousture, nous vous avons conviée dans ce bâtiment abritant une caméra et deux sofas à la qualité discutable parce que nous avons appris que vous en étiez à la phase terminale d'un opus sur la disparition du docteur Monzégo Fritz qui sévit dans sa réalité d'absent depuis maintenant un nombre de mois précis."
"Régistolc Dugars, vous visez juste comme un prisonnier politique mélancolique exprime son désaccord avec le régime d'historicité contemporain en violant la manivelle d'un orgue de barbarie. On pourrait dire que ma Circulaire sur l'état mental probable du docteur Fritz en est à recevoir l'onction la plus extrême. Oh oh !"
"Madame Cousture, votre jeu de correspondances sur le thème de la fin de vie permet d'ajouter une touche d'humour à cette entrevue. Oh oh ! Je suis renversé par des soubresauts comiques."
***
C'est alors qu'un commando entra et tua mortellement Régistolc Dugars. Sur les images diffusées en direct, on pouvait voir Arlette Cousture cracher sur les mécréants toutes sortes de dégueulasseries provenant de ses gencives décomposées par le scorbut.
Un homme au veston de tweed brun ciel de ville troué par les mygales de garde-robe.
Une femme aux cheveux tsunami plastifiés dans une vague catastrophique par du plexiglas en aérosol.
Tous deux assis sur des fauteuils poussiéreux, meubles affables lâchant au moindre mouvement des relents de vodka accusateurs.
L'homme tourne son corps grinçant vers une caméra. Une mygale de garde-robe lui chatouille le vestibule du plaisir.
"Je suis en compagnie d'Arlette Cousture, championne régionale du lancer du cube de sucre, régente internationale du Festival de la moue bourgeoise de Trifluvie occidentale, auteure de moult pamphlets, registres et autres piailleries linguistiques sur Monzégo Fritz, madame Cousture bonsoir."
"Bonsoir, Régistolc Dugars, vice-président du club des visiteurs de stations d'échange de fluides du District 5 de la Métropole, grand propulsant d'idioties interdites aux mineurs et animateur des Rencontres sur sofas alcoolisés auxquelles on m'a invitée, mais une seule fois, c'est-à-dire maintenant."
"Madame Cousture, nous vous avons conviée dans ce bâtiment abritant une caméra et deux sofas à la qualité discutable parce que nous avons appris que vous en étiez à la phase terminale d'un opus sur la disparition du docteur Monzégo Fritz qui sévit dans sa réalité d'absent depuis maintenant un nombre de mois précis."
"Régistolc Dugars, vous visez juste comme un prisonnier politique mélancolique exprime son désaccord avec le régime d'historicité contemporain en violant la manivelle d'un orgue de barbarie. On pourrait dire que ma Circulaire sur l'état mental probable du docteur Fritz en est à recevoir l'onction la plus extrême. Oh oh !"
"Madame Cousture, votre jeu de correspondances sur le thème de la fin de vie permet d'ajouter une touche d'humour à cette entrevue. Oh oh ! Je suis renversé par des soubresauts comiques."
***
C'est alors qu'un commando entra et tua mortellement Régistolc Dugars. Sur les images diffusées en direct, on pouvait voir Arlette Cousture cracher sur les mécréants toutes sortes de dégueulasseries provenant de ses gencives décomposées par le scorbut.
2014/02/14
L'ennui et le coup de foudre
À l'occasion du jour de la fornication mondiale, le Centre Jean-Paul Daoust offre des conférences sur les afflictions des relations modernes. Cet événement offre aux spectateurs lubriques de scabreux témoignages d'experts, tels que "Consistance et substance du sentiment amoureux chez les tartines", par Nina Uméron, "Borderline Bonheur", d'Amin Amadou, et "Discussions illusoires sur le coup de foudre", de Jacquelin Croustillans. Afin de mettre en appétit les intéressés, voici un extrait de la conférence de Croustillans.
À la Banque régionale de disponibilité relationnelle, je m’assois devant l'écran et je fixe. Défilent des membres et des visages, des protubérances nasales, des poils. Allô ça va oui toi tu fais quoi je relaxe toi moi aussi ad nauseam. Je tente des réponses aléatoires. Allô ça va oui toi tu fais quoi je cherche une recette de pâtes aux avocats, je tuerais pour de l'avocat en ce moment ok... tu fais quoi toi je relaxe ok... Le langage m'épuise. Je suis une pierre anémone et visqueuse. Je décide d'aller faire un tour dans la Banque de proximité intime, des membres et des visages, des syntagmes déroutants d'asémantisme. Je cherche un gars avec de la barbe mais je suis ouvert j'ai déjà un père 420 friendly cherche du cul cherche le vrai amour toi oui toi qui est sur cette page j'ai 18 ans et je suis comme la vie est jeune regarde mon instagram ma tronche sexy je suis en chest je vais au gym je m'entraîne je veux pas de superficiel lol ok. Je me demande ce que je fais. À toutes les minutes. À toutes les secondes. Je rage. Puis en un instant je vois dans le coin de l'écran des yeux bleus éclatés, une franche arcade sourcilière, le coin de la lèvre relevé, deux plis de la joue sur une peau claire, le nez avancé un peu, le menton rond, quelque chose dans l'ensemble des traits qui fait craquer le calcaire dans lequel je me minéralise.Je ferme le terminal, je reste quelques instants devant l'écran noir, à regarder mes propres traits. Je me lève et je pars.
Vers minuit, je suis installé par terre, dans la salle de bains. Je fixe le vide, j'écris sur les murs avec mes yeux des syllabes stupides. Je me souviens parfaitement du visage, de l'arcade sourcilière franche, du menton rond. Il n'est pas plus beau qu'un autre. Je me ferme les yeux et je m'amuse à reconstruire son visage, trait par trait. Je le défais, je le refais. Je me demande, encore, ce que je fais. Je ne fais rien. Je vais me coucher.
Treize heures, j'ai peu dormi. D'instinct je bois du café tiède, puis je m'habille et je marche d'un bon pas vers le Centre de conjonction humaine du quartier de l'Est. J'ouvre le terminal de la Banque de proximité intime. Je ne vois pas de membres ou de visages, seulement une masse informe de photons muets. Je cherche des yeux bleus éclatants, j'ignore vraiment pourquoi, dans le fond. Sans succès. Je vais dîner. Je reviens. Et il est là. Allô ça va oui toi tu fais quoi rien je relaxe toi pas grand chose je relaxe aussi... puis je lui pose plusieurs questions. Je suis intéressé. Dans cette mare de gens, je pense qu'il m'attire vraiment. Je pense que je sens quelque chose. En tout cas c'était bien de te parler. Il a apprécié notre interaction. On se reparle, j'aimerais te voir pour discuter. Il aimerait que nous ayons une vraie discussion.
Je suis satisfait. Je me dis que je ne suis pas une anémone rocheuse et dégoulinante. Je me dis que quelqu'un m'intéresse. Je n'ai pas à me forcer. Je trouve que ces émotions que je ressens si rarement sont agréables, j'attribue cela à des circonstances farfelues. Franchement, nous nous sommes échangé 20 messages tout au plus. Puis je deviens joyeux, je me dis que depuis tout ce temps, je réussis à être intéressé, ce n'est pas rien. J'aimerais ouvrir une bouteille de vin. J'aimerais crier dehors. J'aimerais voir des amis et leur faire des compliments. Je dors bien.
Le lendemain, je retourne à la première lueur du jour au Centre de conjonction humaine du quartier de l'Est. Je me trouve excessif, pathétique, et je m'en fous. J'attends de voir son visage. Ce visage me fait un certain bien. Je n'ai aucune idée pourquoi. Pourquoi cette personne qui semble si banale, qui dit pourtant les choses comme tous les autres les disent, cette personne que je ne connais pas. Pourquoi cette personne? Pourquoi. Il est là. Je lui envoie un message et j'attends. Il ne répond pas. J'attends. Il ne répond toujours pas.
Je suis un membre, un visage, moi aussi, j'ai tendance à l'oublier.
J'ai dit des choses très ordinaires, je ne voulais pas le brusquer.
J'ai dit des choses très ordinaires, je ne voulais pas le brusquer.
Je comprends.
Je suis triste. Je suis sûrement trop triste. Je sens tout de suite le calcaire qui vient s'engouffrer dans ma gorge et qui me lacère la trachée. Je suis une roche. Je ne devrais pas l'oublier. Je me trouve stupide, voyons. Les coups de foudre, ça n'existe pas.
2013/12/11
L'ennui et le voyage
Je t'écris une lettre.
Midi cinquante dans la gare.
Des gens se meuvent avec la ferme intention d'attendre.
Une détermination sans borne. Ils fixent des portes qui s'ouvrent et se ferment. Les mouvements de l'attente leur picotent les membres.
La tête lourde qui vacille légérement appuyée sur la paume de leurs mains inconfortablement pliées en 90. Les jambes croisées, impatientes, qui se décroisent et se recroisent, comme un galop absolument merveilleux. Les yeux décrivant une hyperbole majestueuse. L'horloge, le sol, les portes, le sol, l'horloge, le sol.
Le sol brun. Résolument brun.
Petites traces de slush qui décrotte les bottes. Peut-être cette motte de gravel vient-elle de Rivière-du-Loup. Ils ne savent pas. Ils attendent et voyagent déjà. Ils voient les visages de ceux qu'ils vont rejoindre. Ils voient leurs frigidaires avec des aimants de Pauzé Plomberie inc.
Tu vois quoi, toi, quand tu t'en va en quelque part?
***
Treize heure trois.
Entrée en République de la Pointe-du-Lac.
Les Laquais pointés sont au travail. Leurs maisons patientent, imperturbables. J'eus un jour le plaisir de rencontrer un Laquais pointé, personne de forte consistance. Il me parlait des roches sur la grève. Un petit enfant s'était tué ici. Leur coutume veut que l'on convertisse tout endroit où un enfant meurt en parking pour manger sa crème glacée. Je passe en ce moment l'endroit terrible. J'ai une pensée pour cet enfant. Mais mon coeur voyage déjà au-delà de la Pointe-du-Lac, je quitte bientôt pour des terres inconnues.
Il paraît que nous serons à Yamachiche sous peu. Le nom me fait peur. Je t'écrirai pour t'en parler.
***
J'arrive en Yamachie-Orientale.
Je vois une grande maison au toit rouge. C'est peut-être le parlement.
Je rencontre Nina Uméron, sur le banc à ma droite. Elle est scriptrice. Sa bouche sent la tartine. Elle m'explique : " Il est une absurdité du langage qui veut qu'il soit à tout prix exprimé dans le but seul d'être entendu, ou lu. Il m'a toujours semblé étrange qu'il faille absolument projeter ce langage vers quelqu'un qui puisse le recevoir..."
Je ne peux comprendre ce qu'elle dit ensuite. Nina Uméron s'est mis une tartine sur la bouche. J'entends des sons que je ne comprends pas. Elle continue de parler. Je continue de faire comme si j'écoutais. Si je n'écoutais plus, je devrais regarder les Yaméchanchois qui marchent agressivement sur le trottoir. Je ne me sens pas cette force. Je préfère regarder la tartine bouger subrepticement sur la bouche de Nina Uméron. Mes aisselles pleurent d'anxiété. Vivement que nous soyons hors de ce pays de marcheurs intimidants.
***
Le protectorat de Louiseville m'accueille, les gens festoient dans l'autobus qui vrombit joyeusement sur la terre battue. Apparemment, il s'agit du jour national des Louisiens. Nina Uméron dort sous une pile de tartine. Le chauffeur chante l'Internationale Capitaliste. Les passagers de derrière se perdent en accolades osées, se caressent les joues et les mollets, quelquefois un bas ou un pull sont projetés dans les airs. Cela sent le poisson et les gauffres au jambon. Tous les enfants sont cachés dans les soutes placées au-dessus des bancs. Un itinérant, qui habite le véhicule depuis plusieurs mois parait-il, cogne sur les soutes. Un enfant surgit et clame haut et fort une décimale de Pi. Je me sens, moi aussi, Louisien. Dehors, je vois une grande construction avec une tour où sonne une cloche. Il s'agit sans doute du parlement. Deux hommes nus sont couchés l'un par-dessus l'autre devant l'édifice. Ils bougent rapidement. Ce sont peut-être des députés. Je dois cesser de t'écrire pour maintenant, la masse de passagers en perpétuelle accolade me réclame.
***
À peine arrivés dans la Cité-État de Berthier, l'homme du banc de devant se retourne et me dit : "Je n'ai pas envie de vivre." La grise murale de Berthelons, campés sur le bord de la rue, font une funèbre haie d'honneur à l'autobus. Je cale plus loin mon regard dans la fenêtre.
"Je n'ai pas envie de mourir. Cela est trop funèbre. Je n'ai pas envie de vivre, c'est tout. Des fois l'impulsion m'a prise, et par deux fois j'y étais. Je n'ai pas envie de vivre. On dirait que c'est un crime."
Les Berthelons m'accusent. Leurs têtes suivent ma fenêtre, j'en suis sûr. Le ciel est atrocement bleu et vide.
"Je vis par commodité, parce que c'est plus simple, surtout pour les autres. Je n'arrive pas à aimer quelqu'un. Tout cela m'élude. Tout cela vient vite faux. Et cela m'épuise. J'ai bien des amis, mais je rêve d'être seul. Je rêve d'être seul, oui, ce serait plus facile."
Je dois faire semblant d'aller aux toilettes. Je ne sais pas si il y a un parlement à Berthier. Je n'ai rien à te dire. Je t'écrirai plus tard.
***
Il s'agit de la dernière trace écrite du docteur Fritz avant sa disparition. Ces lettres, apparemment sans destinataire, ont été retrouvées dans la carcasse d'un autocar à combustion soupapée de calibre 35, quelque part sur la frontière entre la Fédération de Lanoraie et la Cité-État de Berthier. Il est difficile de déchiffrer ce qui semble être ni plus ni moins que la plus grande énigme du docteur Fritz. Goldshläh Barbottier, professeure au département de lecture de tableau de l'Université de la Métropole, produit en ce moment une thèse sur l'emploi des pronoms masculins dans cette mystérieuse correspondance. Elle entend ainsi percer le mystère qui a conduit à la disparition du docteur Fritz.
Midi cinquante dans la gare.
Des gens se meuvent avec la ferme intention d'attendre.
Une détermination sans borne. Ils fixent des portes qui s'ouvrent et se ferment. Les mouvements de l'attente leur picotent les membres.
La tête lourde qui vacille légérement appuyée sur la paume de leurs mains inconfortablement pliées en 90. Les jambes croisées, impatientes, qui se décroisent et se recroisent, comme un galop absolument merveilleux. Les yeux décrivant une hyperbole majestueuse. L'horloge, le sol, les portes, le sol, l'horloge, le sol.
Le sol brun. Résolument brun.
Petites traces de slush qui décrotte les bottes. Peut-être cette motte de gravel vient-elle de Rivière-du-Loup. Ils ne savent pas. Ils attendent et voyagent déjà. Ils voient les visages de ceux qu'ils vont rejoindre. Ils voient leurs frigidaires avec des aimants de Pauzé Plomberie inc.
Tu vois quoi, toi, quand tu t'en va en quelque part?
***
Treize heure trois.
Entrée en République de la Pointe-du-Lac.
Les Laquais pointés sont au travail. Leurs maisons patientent, imperturbables. J'eus un jour le plaisir de rencontrer un Laquais pointé, personne de forte consistance. Il me parlait des roches sur la grève. Un petit enfant s'était tué ici. Leur coutume veut que l'on convertisse tout endroit où un enfant meurt en parking pour manger sa crème glacée. Je passe en ce moment l'endroit terrible. J'ai une pensée pour cet enfant. Mais mon coeur voyage déjà au-delà de la Pointe-du-Lac, je quitte bientôt pour des terres inconnues.
Il paraît que nous serons à Yamachiche sous peu. Le nom me fait peur. Je t'écrirai pour t'en parler.
***
J'arrive en Yamachie-Orientale.
Je vois une grande maison au toit rouge. C'est peut-être le parlement.
Je rencontre Nina Uméron, sur le banc à ma droite. Elle est scriptrice. Sa bouche sent la tartine. Elle m'explique : " Il est une absurdité du langage qui veut qu'il soit à tout prix exprimé dans le but seul d'être entendu, ou lu. Il m'a toujours semblé étrange qu'il faille absolument projeter ce langage vers quelqu'un qui puisse le recevoir..."
Je ne peux comprendre ce qu'elle dit ensuite. Nina Uméron s'est mis une tartine sur la bouche. J'entends des sons que je ne comprends pas. Elle continue de parler. Je continue de faire comme si j'écoutais. Si je n'écoutais plus, je devrais regarder les Yaméchanchois qui marchent agressivement sur le trottoir. Je ne me sens pas cette force. Je préfère regarder la tartine bouger subrepticement sur la bouche de Nina Uméron. Mes aisselles pleurent d'anxiété. Vivement que nous soyons hors de ce pays de marcheurs intimidants.
***
Le protectorat de Louiseville m'accueille, les gens festoient dans l'autobus qui vrombit joyeusement sur la terre battue. Apparemment, il s'agit du jour national des Louisiens. Nina Uméron dort sous une pile de tartine. Le chauffeur chante l'Internationale Capitaliste. Les passagers de derrière se perdent en accolades osées, se caressent les joues et les mollets, quelquefois un bas ou un pull sont projetés dans les airs. Cela sent le poisson et les gauffres au jambon. Tous les enfants sont cachés dans les soutes placées au-dessus des bancs. Un itinérant, qui habite le véhicule depuis plusieurs mois parait-il, cogne sur les soutes. Un enfant surgit et clame haut et fort une décimale de Pi. Je me sens, moi aussi, Louisien. Dehors, je vois une grande construction avec une tour où sonne une cloche. Il s'agit sans doute du parlement. Deux hommes nus sont couchés l'un par-dessus l'autre devant l'édifice. Ils bougent rapidement. Ce sont peut-être des députés. Je dois cesser de t'écrire pour maintenant, la masse de passagers en perpétuelle accolade me réclame.
***
À peine arrivés dans la Cité-État de Berthier, l'homme du banc de devant se retourne et me dit : "Je n'ai pas envie de vivre." La grise murale de Berthelons, campés sur le bord de la rue, font une funèbre haie d'honneur à l'autobus. Je cale plus loin mon regard dans la fenêtre.
"Je n'ai pas envie de mourir. Cela est trop funèbre. Je n'ai pas envie de vivre, c'est tout. Des fois l'impulsion m'a prise, et par deux fois j'y étais. Je n'ai pas envie de vivre. On dirait que c'est un crime."
Les Berthelons m'accusent. Leurs têtes suivent ma fenêtre, j'en suis sûr. Le ciel est atrocement bleu et vide.
"Je vis par commodité, parce que c'est plus simple, surtout pour les autres. Je n'arrive pas à aimer quelqu'un. Tout cela m'élude. Tout cela vient vite faux. Et cela m'épuise. J'ai bien des amis, mais je rêve d'être seul. Je rêve d'être seul, oui, ce serait plus facile."
Je dois faire semblant d'aller aux toilettes. Je ne sais pas si il y a un parlement à Berthier. Je n'ai rien à te dire. Je t'écrirai plus tard.
***
Il s'agit de la dernière trace écrite du docteur Fritz avant sa disparition. Ces lettres, apparemment sans destinataire, ont été retrouvées dans la carcasse d'un autocar à combustion soupapée de calibre 35, quelque part sur la frontière entre la Fédération de Lanoraie et la Cité-État de Berthier. Il est difficile de déchiffrer ce qui semble être ni plus ni moins que la plus grande énigme du docteur Fritz. Goldshläh Barbottier, professeure au département de lecture de tableau de l'Université de la Métropole, produit en ce moment une thèse sur l'emploi des pronoms masculins dans cette mystérieuse correspondance. Elle entend ainsi percer le mystère qui a conduit à la disparition du docteur Fritz.
2013/06/21
L'ennui et les participes passés
Nouveau rebondissement dans l'affaire Fritz.
Le Comité central des Scouts de la Périmétropole a révélé, hier soir, que le curieux journal retrouvé la semaine dernière pourrait, selon toute logique, appartenir au docteur Monzégo Fritz, scientifique soupçonneux et éternel disparu. En effet, le journal appartiendrait selon eux à un homme puisque le texte présente des participes passés employés avec l'auxiliaire "être" qui se terminent soit en "é", en "t", en "u", en "i" ou en "s". Cette conclusion a semé les graines de la honte chez les chroniqueurs d'enquête des journaux de la Métropole qui tentaient, depuis quelques jours déjà, de percer le mystère du journal mystérieux sans mystérieusement y arriver. "C'est un mystère total", avouait Simone Pratte, qui se passe de présentations. Mais les bourgeons du dépit qui sciaient les entrailles des chroniqueurs ont éclaté en fleurs sanglantes lorsque le Comité central des Scouts a fait preuve d'humilité en ce qui concerne son coup de génie. En effet, dans sa circulaire hebdomadaire destinée aux membres, on peut lire : "Ce n'est pas nous qu'il faut remercier, mais bien les règles d'accord des participes passés. Les participes passés sont des adjectifs, et ils sauvent des vies! Nous le disons déjà depuis plusieurs années, et nous sommes pourtant constamment taxés d'hérésie. Combien de nos membres devront être brûlés au bûcher avant que l'on reconnaisse cette divine Vérité? La véritable hérésie, si vous voulez mon avis, c'est le manque de tolérance à l'égard de celle-ci." Les chroniqueurs, humiliés, ont vilipendé le CSP en les qualifiant de "Sauvages", insulte qui a provoqué une levée de bouclier chez des passants qui se sentaient absolument concernés. Ensuite, ce fut au tour d'un vendeur de cages pour enfants de cracher son fiel, voyant la réaction des passants susmentionnés : "Je n'en peux plus de ces gens qui, parce qu'ils marchent sur le trottoir, croient qu'ils peuvent avoir une opinion sur tout. Quand tu marches, tu marches, tu ne penses pas." Cette dernière affirmation exaspère vivement un morceau d'asphalte qui préfère garder l'anonymat.
Le mystérieux journal qui appartiendrait au docteur Fritz puisqu'il présente une variété de participes passés masculins aurait été retrouvé dans un ancien champ de patates (solanum tuberosum) transformé depuis la Révolution en bidet collectif. Jacynthe Juillet, directrice de la chaîne "Bidet Jaune" qui administre ledit lieu, commente : "L'idée nous est venue d'utiliser l'eau de pluie et un système complexe de pompes afin de donner une deuxième vie à ce champ désaffecté. Les gens des secteurs environnants ont trouvé l'idée bonne et font parfois jusqu'à une-demi journée de marche à pied pour venir se laver le cul ici." Le succès de l'entreprise dépend, nous dit l'ouvrier Justin Jasmin sous la confidence, beaucoup plus des pressions exercées par "Bidet Jaune" sur le gouvernement périmétropolitain afin de resserrer les règles en matière d'hygiène que d'un désir réel de se passer un jet d'eau sur la raie.
Nous avons demandé à Yvonne Uber-Cul, une experte des travaux fritzien, de nous dire en quoi la théorie peut éclairer la pratique : "Je crois qu'il ne faut pas trop vite condamner la célérité dont on fait preuve les législateurs dans cette histoire. Monzégo Fritz aim[ait] d'ailleurs beaucoup les politiciens, ils étaient d'ailleurs une partie intégralement existante de sa théorie du tout, d'ailleurs."
Le Comité central des Scouts de la Périmétropole a révélé, hier soir, que le curieux journal retrouvé la semaine dernière pourrait, selon toute logique, appartenir au docteur Monzégo Fritz, scientifique soupçonneux et éternel disparu. En effet, le journal appartiendrait selon eux à un homme puisque le texte présente des participes passés employés avec l'auxiliaire "être" qui se terminent soit en "é", en "t", en "u", en "i" ou en "s". Cette conclusion a semé les graines de la honte chez les chroniqueurs d'enquête des journaux de la Métropole qui tentaient, depuis quelques jours déjà, de percer le mystère du journal mystérieux sans mystérieusement y arriver. "C'est un mystère total", avouait Simone Pratte, qui se passe de présentations. Mais les bourgeons du dépit qui sciaient les entrailles des chroniqueurs ont éclaté en fleurs sanglantes lorsque le Comité central des Scouts a fait preuve d'humilité en ce qui concerne son coup de génie. En effet, dans sa circulaire hebdomadaire destinée aux membres, on peut lire : "Ce n'est pas nous qu'il faut remercier, mais bien les règles d'accord des participes passés. Les participes passés sont des adjectifs, et ils sauvent des vies! Nous le disons déjà depuis plusieurs années, et nous sommes pourtant constamment taxés d'hérésie. Combien de nos membres devront être brûlés au bûcher avant que l'on reconnaisse cette divine Vérité? La véritable hérésie, si vous voulez mon avis, c'est le manque de tolérance à l'égard de celle-ci." Les chroniqueurs, humiliés, ont vilipendé le CSP en les qualifiant de "Sauvages", insulte qui a provoqué une levée de bouclier chez des passants qui se sentaient absolument concernés. Ensuite, ce fut au tour d'un vendeur de cages pour enfants de cracher son fiel, voyant la réaction des passants susmentionnés : "Je n'en peux plus de ces gens qui, parce qu'ils marchent sur le trottoir, croient qu'ils peuvent avoir une opinion sur tout. Quand tu marches, tu marches, tu ne penses pas." Cette dernière affirmation exaspère vivement un morceau d'asphalte qui préfère garder l'anonymat.
Le mystérieux journal qui appartiendrait au docteur Fritz puisqu'il présente une variété de participes passés masculins aurait été retrouvé dans un ancien champ de patates (solanum tuberosum) transformé depuis la Révolution en bidet collectif. Jacynthe Juillet, directrice de la chaîne "Bidet Jaune" qui administre ledit lieu, commente : "L'idée nous est venue d'utiliser l'eau de pluie et un système complexe de pompes afin de donner une deuxième vie à ce champ désaffecté. Les gens des secteurs environnants ont trouvé l'idée bonne et font parfois jusqu'à une-demi journée de marche à pied pour venir se laver le cul ici." Le succès de l'entreprise dépend, nous dit l'ouvrier Justin Jasmin sous la confidence, beaucoup plus des pressions exercées par "Bidet Jaune" sur le gouvernement périmétropolitain afin de resserrer les règles en matière d'hygiène que d'un désir réel de se passer un jet d'eau sur la raie.
Nous avons demandé à Yvonne Uber-Cul, une experte des travaux fritzien, de nous dire en quoi la théorie peut éclairer la pratique : "Je crois qu'il ne faut pas trop vite condamner la célérité dont on fait preuve les législateurs dans cette histoire. Monzégo Fritz aim[ait] d'ailleurs beaucoup les politiciens, ils étaient d'ailleurs une partie intégralement existante de sa théorie du tout, d'ailleurs."
2013/06/12
L'ennui et la démocratie - I
Il s'était passé plusieurs mois depuis la disparition du Docteur Fritz. (Non pas que la chose avait attiré beaucoup d'attention - on en avait parlé quelque peu, il est vrai, dans les urinoirs des usines, en confidence, entre deux regards jaloux, des regards d'entre-jambes, vous comprenez, ces moments de complicité masculine, où l'homme reconnaît l'homme comme son frère, telle est la devise des lieux d'aisances virils : hominem frater meus est, quia scio meus frater est.)
Il s'était donc passé plusieurs mois depuis la disparition du Docteur Fritz, Monzégo aimait-il se faire appeler, c'était après tout son prénom (et ce l'est encore, dépendant des écoles de pensée). Or on peine à trouver quelque indice que ce soit en ce qui concerne son existence géographique - pour une raison qui échappe à l'entendement, chaque enquête se termine en un exposé doctoral sur des sujets comme le sucre, ou encore les cubes de sucre. On est donc en droit de se demander où tout cela nous mène, et c'est d'ailleurs notre droit fondamental, le "Droit inflexible #12", si l'on se réfère à la liste qu'a faite Arlette Cousture dans sa Nouvelle République pour enfants, adultes et autres attardés. L'auteure énonce ainsi l'importance du droit en question : "Tout être qualifié par la vie de manière substantielle et humaine a droit, dans la mesure ou la République l'infuse de son parfum démocratique, à une connaissance plus ou moins consistante de l'endroit où il est dirigé". Ce droit en question avait d'ailleurs enflammé les cercles intellectuels de la Métropole, qui décidèrent alors de s'en inspirer pour forger une nouvelle constitution, mais ils furent malheureusement exécutés devant public lorsqu'on découvrit que leur entreprise servait d'abord leur envie malsaine de passer la nuit à faire des amendements à toutes sortes de propositions bestiales.
Et le docteur Fritz, dans tout ça?
"Je crois qu'il aurait été d'accord.", affirme vivement Fernand Poitras, concierge de l'immeuble C53.
Il s'était donc passé plusieurs mois depuis la disparition du Docteur Fritz, Monzégo aimait-il se faire appeler, c'était après tout son prénom (et ce l'est encore, dépendant des écoles de pensée). Or on peine à trouver quelque indice que ce soit en ce qui concerne son existence géographique - pour une raison qui échappe à l'entendement, chaque enquête se termine en un exposé doctoral sur des sujets comme le sucre, ou encore les cubes de sucre. On est donc en droit de se demander où tout cela nous mène, et c'est d'ailleurs notre droit fondamental, le "Droit inflexible #12", si l'on se réfère à la liste qu'a faite Arlette Cousture dans sa Nouvelle République pour enfants, adultes et autres attardés. L'auteure énonce ainsi l'importance du droit en question : "Tout être qualifié par la vie de manière substantielle et humaine a droit, dans la mesure ou la République l'infuse de son parfum démocratique, à une connaissance plus ou moins consistante de l'endroit où il est dirigé". Ce droit en question avait d'ailleurs enflammé les cercles intellectuels de la Métropole, qui décidèrent alors de s'en inspirer pour forger une nouvelle constitution, mais ils furent malheureusement exécutés devant public lorsqu'on découvrit que leur entreprise servait d'abord leur envie malsaine de passer la nuit à faire des amendements à toutes sortes de propositions bestiales.
Et le docteur Fritz, dans tout ça?
"Je crois qu'il aurait été d'accord.", affirme vivement Fernand Poitras, concierge de l'immeuble C53.
2013/02/15
L'ennui et l'éternité
Le docteur Monzégo Fritz, du bureau de recherches sur les substrats, est aperçu pour la dernière fois sur un banc de parc alors qu'il se délecte d'un cube de sucre assez volumineux. Selon les témoins, le cube en question fait au moins 11 cm³, ce qui surprend grandement Laura Raptopoulamos, une vieille amie du docteur Fritz. " Si les témoins disent vrai, la grosseur de ce cube est pour le moins surprenante", dit-elle aux policiers qui l'interroge alors qu'elle sort d'un marché où elle achète plusieurs conserves de maïs en crème.
Fyodor Paquin, assistant-directeur à la Raffinerie de Sucre de la Métropole (RSM), commente lui aussi la disparition du docteur Fritz, qu'il considère comme un frère, ce type de frère que l'on ne connaît pas, mais à qui on se sent lié par la fraternité humaine en général : " Ce cube de sucre est effectivement un gros cube de sucre ".
Le mystère demeure quant à l'emplacement actuel du docteur Fritz dans le présent de la vie et des choses.
La communauté scientifique de la Métropole, en émoi, mobilise vingt-deux télescopes afin de participer à l'effort de recherche. Le professeur Gaëtan Garland, expert en nutrition et, selon sa propre expression, père spirituel du docteur Frtiz, affirme qu'il faut chercher dans les travaux de ce dernier des indices pouvant permettre de résoudre l'énigme. Or la communauté scientifique, comme un bloc d'ivoire indivisible, préfère mobiliser trente-trois télescopes supplémentaires, dilapidant ainsi tous ses fonds de recherche.
Hué par une cohorte de mannequins sans domicile fixe alors qu'il donne une conférence publique sur l'importance de toujours lécher son assiette, l'idée vient au professeur Garland d'aller à l'encontre des recommandations de ses collègues et de jeter un oeil aux travaux du docteur Fritz.
Il trouve ceux-ci dans le bureau du disparu. Il les trouve fort poussiéreux et mal classés. Il trouve aussi un passage très éclairant sur la situation qui l'intéresse. Comme il n'a à sa disposition que ce qu'il croit être un nombre inquiétant de pastels gras, le professeur Garland retranscrit en charades le passage en question sur un mur couleur crème.
Voici la traduction que fait Nina Uméron, une traductrice vivant dans les débris d'un cottage au bord d'un lac asséché, des charades du professeur Garland :
"Le sucre détient des propriétés. Une de ces propriétés est l'existence. Or, où commence l'existence du sucre? Où se termine-t-elle? Si le sucre existe, il existe avant, autrement que du sucre. Comme nous ne pouvons soutenir la création ex nihilo du sucre, force est de nous rabattre sur sa permanence en tant que concept et en tant qu'objet. Le sucre, au début de tout, si il n'est pas du sucre, est quelque chose. Et avant cela, ce quelque chose là est quelque chose d'autre. Et si ce quelque chose est, c'est que quelque chose est toujours. Rien - ou tout - ne commence, et donc rien - ou tout - ne se termine. Et nous, si nous terminons, ce que nous sommes après ne se termine pas. Ce qu'est le sucre est donc éternel, pour la simple raison que ce qu'est le sucre existe."Malheureusement, Nina Uméron ne termine pas la traduction et préfère manger plusieurs tartines. Il reste donc une charade à traduire, connue à travers le monde comme la fameuse "dernière Charade". Voici la transcription qu'en fait Nina Uméron, scripte professionnelle et amatrice de tartines :
"Mon premier est la mesure d'une surfaceAu grand dam de la communauté scientifique, les cinquante-cinq télescopes ne parviennent pas à résoudre la charade. Le professeur Garland, lui, est inconsolable, et sombre dans la sodomie assistée par ordinateur. Tout cela commence avec la disparition du docteur Fritz.
Mon deuxième est la 3ème voyelle de l'alphabet
Mon troisième est le bruit du serpent
Mon quatrième est le contraire de "tard"
Les anglais boivent mon cinquième à 17h.
Mon sixième n'est plus vivant"
Le docteur Monzégo Fritz, du bureau de recherches sur les substrats, est aperçu pour la dernière fois sur un banc de parc alors qu'il se délecte d'un cube de sucre assez volumineux. Selon les témoins, le cube en question fait au moins 11 cm³, ce qui surprend grandement Laura Raptopoulamos, une vieille amie du docteur Fritz. " Si les témoins disent vrai, la grosseur de ce cube est pour le moins surprenante", dit-elle aux policiers qui l'interroge alors qu'elle sort d'un marché où elle achète plusieurs conserves de maïs en crème.
Et cetera
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